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HAY DUENDE
Je relisais le petit livre/conférence de Garcia Lorca, 'Jeu et Théorie du Duende', sur le pont du bateau qui s'engouffrait sur le Bosphore. On quittait Istanbul après y avoir passé un mois, de recherches et de frustrations, on allait affronter la Mer Noire et ses climats improbables. A mes cotés Arthur Larrue inspirait des mots à mes images et m'apprenait à commencer une histoire par le milieu. Je lui racontais l'histoire de mes déambulations sur les deux rives et ma rencontre avec Ismail qui jeta de la rage sur une ville qui en manquait parfois.
"Le duende ne vient pas s'il ne voit pas de possibilité de mort" écrit Garcia Lorca. Il dit aussi "l'ange et la muse viennent du dehors, c'est avec le duende que l'on se bat vraiment". Quant à son ami Manuel Torres, il disait "tout ce qui est sonorités noires a du duende". Mais il suffit de voir le beau film de Dominique Abel sur le dernier des géants, Agujetas, pour concentrer le sens du duende de manière évidente.
Ismail connaissait un peu le flamenco pour avoir partagé la scène avec quelques musiciens andalous par le passé. Il allait sortir son premier album solo sur Kalan Music le légendaire label de Hassan Saltik, et c'est le patron lui même qui nous en glissait deux mots lors d'un rendez vous expédié en quelques çay. Sans même avoir pris la peine d'écouter la musique de Ismail, je m'étais mis en tête de lui proposer un film. Saltik a beau avoir ses humeurs, on fait confiance à ses choix musicaux lorsqu'il s'agit de trouver les musiciens les plus intéressants de toute l'Anatolie montés à Istanbul.
Et nous voila dans les rues peuplées de Kadikoy avec Ismail, à chercher quelques lieux un peu calmes pour le laisser exposer sa puissance musicale. J'étais juste venu lui dire bonjour, lui avait juste envie de jouer.
Antonin Artaud, que l'on peut rétrospectivement accoler au terme duende, disait "mon intelligence, c'est mon corps et rien d'autre". Ismail Altunsaray a cette même forme d'intelligence.
Quelques jours plus tard lors d'une soirée, une personne vient me voir et me raconte l'histoire suivante. Un après-midi alors qu'il était attablé à une terrasse de café, un homme est venu prendre une chaise et s'est assis au milieu de la rue. Il s'est mis à jouer de la musique et son chant déchira les bruits d'Istanbul et arrêta toutes les conversations alentours. Il me dit que ce fut l'une des plus belles choses qu'il ait jamais vu en ville, et que par chance ce musicien était accompagné d'un homme à la caméra.
Mais je laisse les derniers mots à Goethe, qui parle du duende en ces termes: "pouvoir mystérieux que tout le monde ressent, mais qu'aucun philosophe n'explique".
released January 1, 2012